« Mais, il faut en prévenir, qu’on ne s’imagine pas que ces traces, ces vestiges puissent renseigner sur ce qu’a été, de vive voix, pareil enseignement. »

Hubert Grenier
« A l’heure où l’on s’interroge tant sur la nature du lien entre enseignant et enseigné, où, pour tout dire, l’enseignement n’apparaît jamais plus autrement qu’en question, Hubert Grenier fait figure de réponse. Alors que nous ne savons plus ce qu’est un enseignant, Hubert Grenier nous apprend ce qu’est un maître. Tous ceux qui l’ont approché témoignent de sa grandeur ; personnage ombrageux, exigeant, et généreux, il poussait le scrupule et le respect de ses élèves jusqu’à rédiger à l’avance l’intégralité de ses cours, dont on ne pouvait distinguer ensuite s’il les lisait ou les réinventait, quelle était la part de la répétition et celle de l’improvisation. A la fois dramaturge et acteur de cette pensée qu’il avait la modestie de ne pas présenter comme la sienne, il avait le souci, dans le cadre à la fois indéfini et strict de la khâgne et de la préparation au concours de la rue d’Ulm, de toujours se renouveler et de prendre au sérieux les travaux les plus scolaires, qu’il élevait par son art de la formule et la pénétration de l’analyse, au rang de pensées réelles. Ce souci de penser bien et de penser toujours à hauteur d’homme – délaissant les facilités du jargon pour la difficile clarté d’une expression classique -, il le devait probablement à son maître Michel Alexandre, lui-même élève d’Alain, dont on sait le mépris que lui valut dans l’Université son éthique du beau style – du beau comme signe du vrai – et qui fit toujours profession de faire confiance aux mots du commun langage pour exprimer ce que la pensée avait de plus profond. Grenier s’inscrit dans cette tradition des grands professeurs de khâgne – Lagneau, Alain, Alexandre -, dont la vie de philosophe se résume et se fond dans la carrière d’enseignant. »
Hubert Grenier (né le 13 janvier 1929 à El-Biar à Alger et décédé le 13 juillet 1997 à Paris), professeur à Louis-le-Grand en khâgne pendant 25 ans, après avoir enseigné à Constantine, en Tunisie, à Poitiers puis au lycée Lakanal, longtemps membre du jury d’agrégation, est l’auteur de deux ouvrages, Les grandes doctrines morales et La connaissance philosophique.
Les grandes doctrines morales
La philosophie occidentale commence par un acte moral grandiose: à Athènes, au Vème siècle avant J.C., Socrate décide d'accepter sa condamnation à mort, et de boire la ciguë, alors que tous, y compris ses accusateurs, regrettent cette issue définitive - ses amis ont déjà organisé son exil, il n'a plus qu'à y consentir. Socrate dit non à la fuite, et vide la coupe fatale d'un trait.
Il y a une grandeur de la morale, elle est l'épreuve de la pensée. Au comportement d'un philosophe, à l'aune de sa vie, on peut juger de la valeur de ses théories. Cette idée antique, selon laquelle une philosophie digne de ce nom doit aboutir à une pratique cohérente et exemplaire, a fait naître les deux premières "grandes doctrines morales", pour reprendre le titre du livre que vous tenez entre vos mains: le stoïcisme et l'épicurisme. Doctrines grandes à la fois par leur succès et le nombre de leurs adeptes, et par leurs effets dans l'histoire. Dessiner la structure morale des hommes d'une époque, c'est définir aussi ce dont cette époque sera capable ou pas, et le sens qu'y prendra le mot humanité.
Si les doctrines morales peuvent être dites grandes, c'est que l'homme tout entier y est en jeu. Face à la nature qui dit toujours "Il faut", l'homme peut dire "Il faudrait". Échappant ainsi à l'animalité et à l'indifférence de l'univers, il ose affirmer sa loi propre, sa liberté, sa grandeur véritable: celle de l'esprit plutôt que celle de la force. Depuis, il semble que l'étoile de la morale ait pâli. Le réalisme politique, le pragmatisme économique, la domination de la science donnent le sentiment d'avoir rétabli le règne sans partage du "Il faut".
Au seuil de cette odyssée aux péripéties à la fois spectaculaires et coperniciennes - dans la mesure où tout ce qui y advient le fait depuis l'intérieur de l'esprit, selon son libre mouvement -, je vous invite à déposer tout ce que vous croyez savoir de la morale et de la philosophie, pour découvrir, sous la conduite magistrale d'Hubert Grenier, comment leurs liens originels se sont déployés, affermis, distendus, questionnés, réinventés, et malgré les apparences, jamais rompus.
Car la morale, comme la philosophie, ne vaut et n'existe que pour qui s'en soucie. "La pensée est une exigence avant d'être une existence" (André Portafax). Philosopher, c'est tâcher de se souvenir de cette évidence première. En même temps qu'il nous renseigne sur la substance du lien entre philosophie et morale, ce petit livre précieux nous éclaire sur les raisons de sa méconnaissance ou de son occultation à l'époque moderne. Et nous rappelle que ce qu'il y a de grand en l'homme, vraiment grand, échappe toujours à la mesure. La philosophie n'est pas une science, c'est une connaissance. À la question: "Que sais-je?", Hubert Grenier n'a pas répondu en historien de la philosophie, mais en philosophe et en homme, - c'est tout un -, prouvant encore une fois, selon la belle formule d'Alain, que "la philosophie est bien une éthique et non une vaine curiosité."
Les grandes doctrines morales
Hubert Grenier

La connaissance philosophique
Hubert Grenier
La liberté heureuse
Hubert Grenier
La liberté heureuse
« Mais, il faut en prévenir, qu’on ne s’imagine pas que ces traces, ces vestiges puissent renseigner sur ce qu’a été, de vive voix, pareil enseignement. »
Ainsi Hubert Grenier, lors de la publication des cours de son maître Michel Alexandre, prévenait-il l’éventuel lecteur contre « la lecture de ces livres qui n’en sont pas », ces livres de cours rassemblés par d’anciens élèves après la disparition du maître.
Mais si, d’habitude, ces cours sont reconstitués à partir des notes des élèves, nous avons ici les cours rédigés de la main même de celui qui les donna. Sur du papier à lettres utilisé recto-verso, Hubert Grenier avait pour habitude, de son écriture régulière et minuscule, d’écrire tout ce qu’il allait dire, ou disons, de le dire une première fois par écrit, pour ensuite, en classe, le reprendre, l’interpréter, le faire vivre de sa voix si particulière, profonde, digne, ombrageuse, au débit majestueux, au rythme aussi de cette cigarette, toujours forte, qui se consumait au bout de ses doigts et sur laquelle il lui arrivait de tirer, comme pour reprendre la respiration de sa pensée. Cette vive voix n’est plus. Mais si, comme dit Bergson, il n’y a de charme que d’un vivant, il me semble qu’il reste quelque chose de cette vie et de cette voix, de cette grandeur qui frappait d’abord et qui ne décevait jamais, dans ces cours destinés à n’être qu’entendus, mais publiés ici.
On trouvera également à la fin de ce recueil trois textes : un éloge funèbre de Maurice Merleau-Ponty, datant de 1961, et deux conférences prononcées en 1996, quelques mois avant sa disparition, à l’invitation des Services Culturels de l’Ambassade de France aux Etats-Unis. Les deux dernières interventions publiques d’un professeur à la retraite. L’une, prononcée à l’Université de Miami, porte sur Descartes, philosophe de la liberté - d’une « liberté heureuse » qui nous a paru un titre fidèle au contenu de ce recueil -, et l’autre sur Rousseau, « écrivain et philosophe », le philosophe de cœur de Grenier[1], si cette expression peut avoir un sens, Rousseau à qui Grenier, devant un parterre de professeurs américains enseignant le français, choisit, pour finir, de rendre justice.
Si un enseignement n’est vivant que quand il est parlé, s’il n’est vivant que dans une salle de classe - à Louis-le-Grand, par exemple, où il passa un quart de siècle en Première Supérieure, en Khâgne comme on dit, établissement où lui-même fut élève et connut l’enseignement de Michel Alexandre[2] -, s’il n’y a de science véritable, comme dit Platon, que là où il y a place pour un enseignant et un enseigné, quand l’enseignant a disparu, que peut faire d’autre l’enseigné que devenir lui-même enseignant ? Publier les cours du maître, n’est-ce pas trahir le maître ? La parole, une fois écrite, ne perd-elle pas si ce n’est son sens, du moins son sel, sa saveur ? Mais cette parole était déjà écrite, voilà l’étrangeté de la situation. Un écrit qui n’était fait que pour être dit, mais un écrit. Ce livre n’en est donc pas un, au sens où son auteur n’a pas écrit ces textes dans la perspective d’une publication mais dans celle d’un cours, d’une classe. Mais publier ce qu’il avait à dire, et qu’il avait dit, et qu’il avait écrit pour être bien assuré de dire exactement ce qu’il voulait dire, est-ce encore le trahir ? Peut-être. Reste que l’exemple d’une trahison aussi fructueuse vient de loin, et de haut : Platon lui-même, en mettant en scène dans ses Dialogues son maître Socrate, qui dédaignait l’écriture et qui la condamnait, n’a-t-il pas accepté de trahir le maître pour le faire reconnaître ? Que serait un Jésus sans son Judas, autre trahison exemplaire ? Il faut bien que les anciens élèves servent à quelque chose.
Grenier disait souvent que la mort n’avait pas « désocratisé » Socrate. Ce livre, ce premier volume prouvera qu’elle n’a pas non plus « dégrenierisé » Grenier, et que cet homme, « le seul Grand Homme que j’aie rencontré », comme disait Alain de son maître Lagneau, ce grand professeur de philosophie saura toucher, par la seule grâce de ces traces qui sont plus que des vestiges, de nouveaux élèves.
[1] Hubert Grenier a publié quelques articles, et deux livres, l’un aux éditions PUF, un « Que sais-je ? » intitulé Les grandes doctrines morales, l’autre aux éditions Masson, intitulé La connaissance philosophique. Il envisageait un ouvrage sur Rousseau, auquel il renonça, car, disait-il, il avait dit ce qu’il avait à dire.
[2] Michel Alexandre fut pour sa part l’élève d’Alain, en Khâgne au Lycée Henri IV.

Textes
Rousseau, écrivain et philosophe
Mes chers collègues, Permettez-moi tout d'abord de vous remercier de l'honneur qu'en m'accueillant vous me faites. Je vous en suis très reconnaissant. Vous êtes pour la plupart des professeurs de français, je suis, ou plutôt j'étais, un professeur de philosophie. (...)
Maurice Merleau-Ponty
Depuis hier le monde philosophique est en deuil. Merleau-Ponty est mort, frappé d’une attaque cardiaque, à sa table de travail, dit-on, mourir à sa table de travail, c’est la meilleure façon de mourir debout. Il est mort à l’âge de 53 ans, à un âge où beaucoup entament à peine leur itinéraire intellectuel. Son génie lui avait permis de brûler les étapes de la carrière universitaire. (...)
Le bonheur
Le rigorisme n'est pas philosophique. Spinoza écrit dans le scolie de la proposition 45 du quatrième livre de l'Ethique : « Ce n'est certes qu'une sauvage et triste superstition qui interdit de prendre du plaisir. User des choses, dit plus loin Spinoza, et y prendre plaisir autant qu'il se peut (non certes jusqu'au dégoût, car ce n'est plus y prendre plaisir) est d’un homme sage. » (...)
Un atelier d’écriture philosophique au format inédit
Ollivier Pourriol vous propose un atelier d’écriture philosophique inédit en partenariat avec l’Oeuvre de Hubert Grenier et les éditions « Que sais-je? » (PUF),. Hubert Grenier a laissé une archive considérable : plus de trente ans de cours manuscrits.
« Je vous propose de travailler sur cette archive exceptionnelle, de la déchiffrer et de la transcrire pour ensuite la commenter ensemble avant de procéder à son édition. C’est une autre manière de faire de la philosophie, en mettant la main à la pâte, et de profiter d’un cours d’une clarté et d’une densité rares, tout en le rendant accessible et partageable! »
Cours généraux et de spécialité, commentaire de textes classiques, corrigés de dissertation et d’oraux, vous aurez le choix !
Extrait d’un cours – Manuscrit original


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Lycée Louis-le-Grand – Paris
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